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Notes sur la dissolution de la légitimité

Notes sur la dissolution de la légitimité

4 mars 2015 – Rien ne caractérise mieux que ce sujet ce que nous nommons infrastructure crisique du monde, concept valant purement et simplement comme remplaçant du concept des relations internationales, ou >relations internationales< devenues >infrastructure crisique<. Le domaine essentiel où se marque cette nouvelle situation, c'est l'attaque contre la légitimité du pouvoir politique (et de toute forme de pouvoir soumis à la légitimité en général), ou plus courtement dit >la légitimité< elle-même prise comme principe et caractérisant essentiellement le pouvoir. L'outil employé par l'infrastructure crisique pour cette attaque fondamentale contre un principe essentiel de la société en général, et de la civilisation où nous vivons plus précisément, – plus que jamais >contre-civilisation< de ce fait en plus de beaucoup d'autres, – c'est le système de la communication. L'action du système de la communication fait que cette >attaque fondamentale< contre le pouvoir politique et sa légitimité se traduit non par un effondrement brutal, un renversement révolutionnaire, etc., mais par une dissolution de la légitimité du pouvoir politique.

Tous les pouvoirs sont affectés par ce phénomène, y compris ceux qui paraissent les plus légitimes justement par leur politique principielle mais qui semblent résister le mieux grâce à leur posture antiSystème (on pense à la Russie), comme ceux qui sont les mieux structurés par un imbroglio institutionnel et bureaucratique (on pense à l’UE et surtout aux USA/Washington). C’est dire si notre propos n’est pas au départ du type >partisan< (il le devient dans sa conclusion) mais bien de type systémique. Le résultat est un désordre interne, rampant, à la façon des termites, au cœur intérieur de toutes les structures et notamment, selon notre propos, les structures du pouvoir politique ; mais un désordre qui, lui aussi dans ce cas du pouvoir politique, peut et doit se transformer en hyperdésordre.

Nous passons en revue dans ces Notes d’analyse la situation de quelques structures de pouvoir, de quelques pouvoirs, au travers de leurs avatars ou de leurs ambitions affichées, tout cela, – avatars et ambitions, – étant apprécié du seul point de vue qui compte, qui est celui de la communication. Il est évidemment inévitable, selon la ligne d’analyse que nous avons suivi ces derniers jours, que le premier exemple qui vienne sous notre plume soit celui de la Russie après l’assassinat de Nemtsov.

Ainsi en revenons-nous, pour conclure, à la problématique essentielle Système-antiSystème. On comprend qu’elle se pose en ces termes, – la tendance antiSystème y étant incluse, au même titre que la tendance Système, – parce que le cas examiné de la dissolution délégitimante des pouvoirs est une production du système de la communication dont on a déjà signalé la tendance-Janus et, par conséquent, la production d’occurrences favorables autant au Système qu’à l’antiSystème. On pourrait dire ainsi que le processus de dissolution du principe de légitimité est manifestement une tendance catastrophique propre au Système dans son activité hostile à toutes les structures principielles. Au contraire, les effets obtenus sont largement à tendance antiSystème dans la mesure où elles affectent des autorités qui sont largement acquises au Système. On retrouve l’équation surpuissance-autodestruction…

Le cas de la Russie est certainement le plus intéressant, voire le plus fascinant, parce qu’il manifeste une tendance antiSystème à l’intérieur d’un contexte qui reste malgré tout celui du Système. Ce n’est certainement pas nouveau, et c’est même l’un des caractères les plus remarquables de la psychologie de Poutine, tel qu’on l’a souvent signalé ; et, bien entendu, cette tendance (de la Russie) et ce caractère (de Poutine) sont exacerbés dans le sens antiSystème à cause des pressions qui leur sont imposées par le Système, dans le chef du bloc BAO, et des USA particulièrement, – et, cette tendance antiSystème exacerbée qui conduirait la Russie à tenir son rôle de plus en plus affirmée dans l’affrontement Système-antiSystème… L’ironie du cas est, d’autre part, que ces pressions contre la Russie sont exercées, nullement au nom d’un grand dessein de conquête et d’hégémonie comme telle ou telle narrative nous pousserait à croire, mais justement par l’absence de dessein due à la délégitimation du pouvoir aux USA. Cette absence qui implique un aveuglement politique et stratégique complet conduit les USA à s’engager dans des aventures aussi folles que l’attaque frontale de la Russie qui est en train de s’effectuer. Rarement vit-on, non pas la surpuissance du Système accouchant de son autodestruction, mais la surpuissance et l’autodestruction si étroitement mêlées qu’elles ne feraient plus qu’un seul phénomène.

Il serait dommage, même si cela n’est pas nécessaire puisque la logique Système-antiSystème se joue des particularismes, de terminer sans quelques mots à l’intention de la France … C’est-à-dire, cette question : où se trouve le pouvoir français dans cette grande ronde de la délégitimation ? Nous avons essayé de cerner le sujet dans deux textes complémentaires, le 18 janvier 2015 et le 13 février 2015. A cette lumière, nous dirions que la légitimité du pouvoir n’est pas en France en cours de dissolution, puisqu’il s’agit d’un pouvoir déjà-dissous, c’est-à-dire complètement inexistant en tant que tel. (D’où l’absence de la France dans cette analyse.) Cette situation s’explique par le fait que la France a nécessairement besoin, pour lui correspondre, d’un pouvoir d’une certaine hauteur, en-dessous de laquelle ce pouvoir se dissout, ou s’auto-dissout. Ainsi le pouvoir français s’est-il dissous avant même que le Système ne se charge de lui. Il reste à la France, pourrait-on dire, simplement l’essentiel pour l’instant empêché de se manifester mais qui tendrait actuellement à exercer quelques pressions pour le faire : ses réflexes historiques, son intuition haute née d’une psychologie multi-centenaire, sa tendance irrépressible à rechercher une politique principielle ; au bout d’un certain temps d’une non-politique catastrophique et dissoute, ces attributs-là commenceraient à se lasser de la catastrophe … C’est dire que la France, si elle ressurgit d’elle-même, ne pourra le faire qu’en tant que force antiSystème. C’est dire que, finalement, elle rejoint le phénomène russe : comme lui, elle ne pourrait manifester son essence que dans une irrépressible particularité antiSystème.