Dans l’atmosphère électorale des élections mid-term aux USA et dans le contexte de la terrible guerre des cartels de la drogue à la frontière des USA et du Mexique, l’Arizona (plus de 2.000 kilomètres de frontière avec le Mexique) est en première ligne. Ainsi, les élus divers, tous placés devant des échéances électorales, sonnent-ils la mobilisation pour répondre aux vux de leurs électeurs. La mobilisation porte sur deux thèmes: la guerre de la drogue elle-même et l’immigration illégale des Mexicains.
Le 20 avril 2010 donnait tous les détails sur cet appel «With border violence flaring again, the two U.S. senators from Arizona on Monday called on President Obama to deploy 3,000 National Guard troops to the U.S.-Mexico border in their state, saying the borders must be secured before the White House pursues a broader immigration bill.»
Le même McCain avait fait auparavant une intervention encore plus intéressante sur ce sujet, en s’adressant directement au nouveau commandant en chef de Northern Command, le nouveau commandement de théâtre couvrant le territoire même des USA. L’intérêt de cette intervention, lors de cette audition au Congrès, est de voir un sénateur s’adresser directement à un chef militaire et lui faire des recommandations qui ressemblent à des exigences pressantes, presque à un ordre de l’exécutif, sans plus de préoccupations pour la chaîne de commandement de l’administration fédérale dont le sommet se trouve être le président des USA. On aurait pu croire qu’il s’agissait de l’Etat souverain de l’Arizona donnant des instructions détaillées (y compris les systèmes d’arme à déployer) à un général (un amiral en l’occurrence) dépendant pourtant du pouvoir fédéral (Sur le site NextGov.com, le 15 avril 2010.)
«I can make an argument that we are [engaged] in combat on the border, McCain said during a hearing of the Senate Armed Services Committee, which was considering the nomination of Vice Adm. James Sandy’ Winnefeld Jr. to head U.S. Northern Command. He called the $65 billion-per-year drug trade in that region, which has resulted in murders on both sides of the border, a corrosive effect on life in the Southwest.
«McCain has represented Arizona, which shares a 1,400 mile border with Mexico, in the House and Senate since 1982. The senator said he was more concerned about the security of the border than he has ever been, given what he described as irregular warfare operations by drug cartels. A 58-year-old rancher in southeast Arizona was found shot to death on March 27. Investigators speculated that he was killed by a drug smuggler who had illegally crossed the border.
»McCain told Winnefeld the violence justifies a military response, including sending the kind of advanced systems the Defense Department is using in Iraq and Afghanistan to the Mexico border. We have an obligation to protect our borders, McCain said, adding he would like to see military surveillance systems, including unmanned aerial vehicles, used in the region.
»Winnefeld said he shared McCain’s deep concerns over the level of violence on the border and would make a trip to the area with the senator one his first priorities when taking over the command. Winnefeld did not address McCain’s request to use the military’s computer systems.»
Notre commentaire
Dans le contexte général ainsi décrit par les textes citées, la dernière intervention de McCain, qui est la première chronologiquement et précède l’appel formel au président, cette chronologie a sa signification, est de loin la plus intéressante pour sa signification par rapport certes à une situation d’urgence, mais aussi par rapport à la situation institutionnelle actuelle des USA, et notamment la poussée souverainiste des Etats de l’Union par rapport à l’autorité centrale.
Plusieurs remarques méritent d’être développées.
D’abord, McCain s’adresse directement à un officier général dépendant du Pentagone pour lui conseiller d’une façon pressante d’envisager de mettre en place un dispositif de guerre sur la frontière de l’Arizona. Il détaille sa demande jusqu’à préciser quels types de système doivent être employés, donc quelle stratégie doit être suivie, exactement comme un chef d’état-major, un secrétaire à la défense, voire un président ferait. La chose n’est pas anecdotique justement parce qu’il s’agit d’un Etat de l’Union, alors que d’habitude cette sorte de discussion porte sur des guerres extérieures où les débats généraux de cette sorte sont généralement admis dans le cadre d’une commission (celle des forces armées dans le cas de McCain) dont la compétence de facto s’exerce effectivement sur la gestion du Pentagone par rapport à ses activités hors des USA qui concernent le pays dans son ensemble. Cette fois l’intervention concerne un Etat spécifique de l’Union, considéré en tant que tel, ce qui explique notre qualification un peu ironique, mais pas seulement, avec un certain aspect sérieux également, de McCain représentants de l’Arizona parlant comme si l’Arizona se considérait en l’occurrence comme un Etat souverain dans l’Union. C’est retrouver la tendance actuelle de l’affirmation de plus en plus forte des Etats de l’Union vis-à-vis du centre fédéral, et cela implique cette fois un sénateur du Congrès des USA, personnalité d’habitude le plus systématiquement opposé à cette tendance dite souverainiste des Etats de l’Union. Mais quoi, il faut bien être réélu
Le fait que McCain s’adresser au nouveau chef de Northern Command est également un point très intéressant. Lorsque Northern Command fut créé, en 2002, pour couvrir militairement le territoire intérieur des USA, le monde des commentateurs et chroniqueurs disposant encore d’esprit critique y vit une militarisation de la situation aux USA, éventuellement pour des éventualités de maintien de l’ordre à l’intérieur des USA, en cas de troubles, d’émeutes, etc. Cela était vu comme un renforcement d’une situation intérieure policière, voire militarisée et, pour les jugements les plus extrêmes, comme une étape de plus de la fascisation des USA. Dans le cas exposé, cela n’est pas du tout cela. Northern Command est considéré par McCain comme un instrument militaire mis à la disposition de la des Etats de l’Union pour protéger leur sécurité extérieure, dans le cas de l’Arizona en fonction de situations considérées comme proches d’un conflit, notamment avec éléments extérieurs des USA, les cartels de la drogue et les immigrants illégaux considérés comme ennemis au point de faire appel à la force militaire. C’est un renversement complet de la perception de Northern Command, avec une exigence implicite que ce commandement, puisqu’il administre notamment la Garde Nationale dans certaines situations, veille à mettre cette Garde Nationale à la disposition de la protection de cette même sécurité extérieure des Etats de l’Union. Là aussi, la dialectique implicite en appelle indirectement à la dimension souveraine des Etats et tend à considérer que les instruments du centre fédéral doivent servir à la protection de cette souveraineté implicite et presque explicite.
Un autre conséquence dialectique, sinon psychologique, de l’appel à Northern Command dans ce cas, est de nationaliser la guerre de la drogue sur la frontière, de militariser cette guerre en tendant à la faire sortir du strict cadre du maintien de l’ordre sur les frontières régulièrement confié à des organismes non-militaires (police des frontières, FBI, ATF, etc., et aussi des unités militaires de la Garde mais intégrées dans ce dispositif civil). Dans ce cas, Northern Command devient également une organisation militaire générale qui, plus qu’assurer le maintien de l’ordre militarisé à l’intérieur des USA, est considéré comme une organisation militaire au service de la défense de la sécurité extérieure sur des frontières spécifiques qui concernent directement certains Etats de l’Union, et où ces Etats ont, par définition, un poids de la plus grande importance.
Dans ces diverses remarques, on observe une modification des attitudes et des perceptions, évoluant vers une appréciation des USA comme de l’ensemble des Etats qu’ils furent primitivement, plus que comme le bloc d’une hyperpuissance qu’ils sont devenus depuis la Guerre de Sécession et jusqu’à nous.
Mis en ligne le 23 avril 2010 à 11H54