Ci-dessous, nous vous présentons le texte de la conférence donnée par Philippe Grasset le 27 novembre 2002, pour un déjeuner-débat du CHEAr (Centre des Hautes Études de l'Armement), à Paris.
Le texte est présenté dans sa forme originelle, avec des points successifs développés.
Les exportations d' avions de combat, USA-Europe
33). Pourtant, non, l'investissement de l'Europe par le JSF est loin de régler et de conclure notre affaire. Cela s'est vraiment passé comme un investissement, une attaque extérieure, dans des conditions parfois déshonorantes, dignes d'une république bananière (). L'affaire a été menée sans la moindre appréciation politique, uniquement sous la poussée d'intérêts industriels et d'actions douteuses, sans aucune évaluation politique Les Américains nous ont démontrés à cette occasion qu'effectivement leur légitimité du temps du Plan Marshall n'existe plus.
34). Dès que l'appréciation politique surgit, aussitôt la question du JSF est perçue comme une agression. Les réactions chez les hommes politiques européens, qui commencent, depuis le début de l'automne, à découvrir ce qui s'est passé, sont résumées par une seule attitude : la dénonciation d'une agression. L'intervention US est même ressentie dans certains milieux européens comme un >appel aux armes< et une relance de la logique nécessaire d'une >défense européenne< au niveau des R&D, des acquisitions, etc. C'est la confirmation de la fin de la légitimité US.
35). Tout cela aura-t-il un effet ? Nul ne peut le dire. Nous sommes vraiment à un moment-clé, ce qui correspond effectivement aux réalités de la situation des relations internationales. La vision politique commence à percevoir le programme JSF comme la cause possible de l'échec définitif de l'Europe au niveau de la défense européenne, de l'industrie européenne et tout ce qui va avec, c'est-à-dire souveraineté et autonomie, — c'est-à-dire, l'échec de l'Europe tout court, pour ceux qui conçoivent effectivement une Europe. Cette réalité commence à se répandre comme une évidence. C'est une indication qu'on a pris la mesure du défi américain, événement sans précédent en Europe.
37). Cette réaction perçue aujourd'hui d'une manière officieuse sera-t-elle transcrite en termes publics ? C'est aujourd'hui une question posée, à laquelle nous ne pouvons répondre. Mais l'ambiguïté n'existe plus : le choix américain n'est plus perçue comme un choix favorable à l'Europe ; il est désormais perçu comme un choix hostile à l'Europe. L'événement de la rupture commence à entrer dans la situation politique transatlantique.
38). Peut-être est-il trop tard, peut-être pas. Mais voilà un événement terrible et d'une importance incalculable : pour la première fois depuis 1945, pour la première fois dans une situation générale débarrassée des pesanteurs du passé, les enjeux apparaissent clairement.