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“Journalisme patriotique” US et mensonge

>Journalisme patriotique< US et mensonge

Il y a un tiers de siècle (1972), les journalistes américains s’activaient, incorruptibles et courageux, à débusquer les scandales et à les dénoncer, quitte à secouer une nation qui est la plus puissante nation du monde. Aujourd’hui, ils sont au centre du scandale, arroseurs arrosés, à la fois complices et marionnettes des puissants de l’establishment qu’ils fréquentent et devant lesquels ils s’inclinent. En 1972, Woodward et Bernstein se lançaient dans le Watergate pour s’aventurer audacieusement jusqu’au cœur du scandale, — le Président lui-même. Aujourd’hui, Miller et Woodward, deux journalistes, sont eux-mêmes le cœur du scandale ; ils sont les tristes coupables de convenance et manipulés, dans ce qu’on pourrait nommer, dérisoires succédanés du Watergate, — Plamegate-I et Plamegate-II.

Entre-temps a eu lieu ce que l’enquêteur et auteur Robert Parry nomme >The rise of the ‘patriotic journalist’<. La thèse de Parry est que l’ascension et le triomphe du >sceptical journalism< (Watergate et les scandales des années 1971-75, des Pentagon Papers à la mise en accusation de la CIA) furent tels qu’ils ébranlèrent le système dans ses fondements. Ce constat déclencha une contre-attaque d’un ensemble de forces de l’establishment qui aboutit à la liquidation du >sceptical journalism< et à son remplacement par le >patriotic journalism<.

Transcrivons en nuançant les termes et parlons de >transformation< plutôt que de >liquidation<. On transforma le contestataire sans peur et sans reproche en un petit soldat obéissant, choyé et neutralisé. La bataille de Cannes contre les délices de Capoue. Il n'existe pas un homme qui illustre mieux ce changement que Bob Woodward. Le courageux et pugnace enquêteur de 1972-74, le héros qui eut l'honneur de voir Robert Redford réclamer l'honneur de l'interpréter au cinéma, se transformant en une opulente star du tout-Washington, croulant sous les cachetons de $20.000 par conférence et les à-valoir d’éditeurs dépassant le $million, discutant à tu et à toi avec GW Bush et les copains.

A première vue, il semble qu’en chemin nous perdîmes la liberté. Mais ce n’est qu’une conclusion provisoire. Il importe sans hésitation de situer cette perte cruelle dans son contexte. Peut-être le diagnostic en sera-t-il modifié.

(Ici, un double avertissement : 1) Woodward est toujours un excellent journaliste: la critique ne porte pas sur la technique mais sur l’éthique, voire l’esthétique de l’homme ; sur sa capacité à distinguer la subversion fondamentale dans laquelle il est entraîné au regard de l’évidence de son métier. 2) On parle de journalistes américanistes parce qu’en cette matière, effectivement, >nous sommes tous des américanistes<. Il est évident que cette aventure, la décadence accélérée d'une part et une réaction inattendue d'autre part, est également occidentale et nous concerne tous.)

Il n’est pas question ici de nous dire >adepte< de telle ou telle théorie du complot. Là n'est ni le propos, ni l'enjeu de cette analyse. Il est question, plus radicalement, de >repenser notre monde< (« …to rethink my whole world »).

Nous voulons dire ceci: ayant été soumis à une telle évidence d’abaissement abyssal, de cynisme sans limites, de décadence sans frein et d’immoralisme vaniteux de la part des hommes de responsabilités, ayant du supporter un tel exercice de maniement sans fin exclusivement du mensonge, nous devons pouvoir en arriver à affirmer simplement: >si, demain, j’étais convaincu par tel et tel argument qu’il y a bien eu complot pour le 11 septembre 2001, eh bien je n’en serais aucunement étonné ; au contraire, au vu de l’activité de nos autorités officielles, j’y verrai la logique de l’évidence<.

Essayez de prendre le problème de cette façon…