Vote en crise
15 mai 2002 — Les Pays-Bas votent aujourd'hui. L'atmosphère est sans précédent, dans le sens d'une crise générale qui touche le pays. La campagne et le victoire du leader populiste Pim Fortuyn en mars à Amsterdam (élections partielles), la démission du gouvernement Kok le 17 avril au coeur du scandale créé par la rapport officiel sur le massacre de Srebrenica où les Néerlandais (au sein de la FORPRONU) ont joué un rôle très gravement contesté, enfin l'assassinat de Fortuyn le 6 mai sont les étapes de cette crise néerlandaise. C'est le pays jusqu'alors cité en exemple pour sa stabilité, son équilibre, son conformiste à la fois européen et atlantiste (une sorte d'exploit) qui est touché de plein fouet. Le climat a été décrit par le journal Volkstrant, avec cette citation notamment : « Fortuyn's death has pushed the Netherlands into its most serious domestic crisis since 1945. It is inevitable that emotions will run high as a result of this attack, but things have to be kept under control if we are to avoid further bloodshed. There is a huge danger that intense resentment will gain the upper hand in this extremely polarized climate. »
Un article de Henk Ruessenaars, de la Foreign Press Foundation, publié le 11 mai, est intéressant à lire pour avoir une idée plus précise du climat des Pays-Bas, aujourd'hui, à l'heure d'un vote particulièrement ouvert et dont il est difficile de dire quels seront les effets immédiats et, plus loin, les conséquences politiques.
Notre analyse de cette crise néerlandaise est, qu'en plus des événements intérieurs, ce pays entre dans une phase de révision correspondante à l'époque d'après la Guerre froide, notamment en relation avec les liens transatlantiques et les relations que ce pays entretient avec les USA. Cette évolution est accélérée, voire précipitée par l'évolution des États-Unis et de leur politique. En ce sens, le scrutin d'aujourd'hui devrait être considéré comme le premier scrutin réel de l'après-Guerre froide. La véritable situation des Pays-Bas est qu'il existe une opposition potentielle à la situation conformiste, atlantiste, que connaît ce pays, beaucoup plus forte qu'en apparence, notamment dans les milieux académiques et universitaires. Nous avons déjà évoqué le problème des Pays-Bas par rapport à son engagement transatlantique dans une livraison récente (25 mars) de de defensa et nous présentons ci-dessous deux passages qui, dans la rubrique Journal et dans l'analyse générale de la rubrique de defensa, ont trait à cette situation néerlandaise, du point de vue des relations avec les USA.
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Le cas des Pays-Bas pourrait étonner si l'on se réfère au choix récent de l'avion de combat américain JSF. Mais, comme nous l'avons dit, ce choix nous paraît bien plus le résultat de pratiques affairistes que le signal d'un engagement pro-américain renouvelé. (Qui plus est, depuis la décision du cabinet du 8 février, les débats au Parlement ont montré que les choses sont loin de se dérouler facilement. Au plus les Pays-Bas digèrent le choix du JSF, au plus la digestion est difficile et la contestation de ce choix grandit. En ce sens, l'affaire du choix du JSF aux Pays-Bas pourrait ne paraître pas close et il faudra suivre son statut. Elle nous donne une indication précieuse de l'évolution du sentiment vis-à-vis des Américains et du jugement sur la politique américaine qu'on décrit ici ; elle est même susceptible de servir à la fois d'aliment et de concrétisation de cette évolution éventuelle.)
[…I]l est manifeste que les tendances erratiques de la ''politique'' américaines, des décisions douteuses par rapport à l'appréciation démocratique classique, un accent forcené mis sur l'aspect militaire, déstabilisent les cercles intellectuels des experts néerlandais, notamment académiques, qui ont toujours formé un substra conceptuel très fort pour les tendances pro-américaines du pays. Les universitaires et experts néerlandais des matières de sécurité nationale ne sont pas du genre à suivre aveuglément et d'une façon cyniquement et uniquement tactique ; il leur faut comprendre et approuver les allégeances qu'ils font, et c'est évidemment le cas de l'engagement pro-américain. Si l'on ne comprend plus, on doute, et la rigueur intellectuelle calviniste fait le reste, d'autant qu'elle dispose d'un objet de premier choix avec la politique américaine. C'est alors qu'on est susceptible d'identifier une situation décrite à la façon du professeur Van Ham, de l'université de Clindendael : « On se demande si les USA et l'Europe sont encore des alliés avec des valeurs communes. » Aujourd'hui, le débat autour de l'engagement pro-américain des Pays-Bas est, aux Pays-Bas, beaucoup plus vif et profond que ne laisserait croire le choix du JSF. Chaque acte et chaque décision des Américains, dans le sens qu'on sait, alimentent ce débat.